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LES ROUGON-MACQUART.

dégager, la boue semblait monter à sa bouche. Il resta tranquille pendant près de deux heures. Comme la lune se levait, il put heureusement saisir une branche d’arbre, au-dessus de sa tête. Le jour où il arriva à une habitation, ses pieds et ses mains saignaient, meurtris, gonflés par des piqûres mauvaises. Il était si pitoyable, si affamé, qu’on eut peur de lui. On lui jeta à manger à cinquante pas de la maison, pendant que le maître gardait sa porte avec un fusil.

Florent se tut, la voix coupée, les regards au loin. Il semblait ne plus parler que pour lui. La petite Pauline, que le sommeil prenait, s’abandonnait, la tête renversée, faisant des efforts pour tenir ouverts ses yeux émerveillés. Et Quenu se fâchait.

— Mais, animal ! criait-il à Léon, tu ne sais donc pas tenir un boyau… Quand tu me regarderas ! Ce n’est pas moi qu’il faut regarder, c’est le boyau… Là, comme cela. Ne bouge plus, maintenant.

Léon, de la main droite, soulevait un long bout de boyau vide, dans l’extrémité duquel un entonnoir très-évasé était adapté ; et, de la main gauche, il enroulait le boudin autour d’un bassin, d’un plat rond de métal, à mesure que le charcutier emplissait l’entonnoir à grandes cuillerées. La bouillie coulait, toute noire et toute fumante, gonflant peu à peu le boyau, qui retombait ventru, avec des courbes molles. Comme Quenu avait retiré la marmite du feu, ils apparaissaient tous deux, lui et Léon, l’enfant, d’un profil mince, lui, d’une face large, dans l’ardente lueur du brasier, qui chauffait leurs visages pâles et leurs vêtements blancs d’un ton rose.

Lisa et Augustine s’intéressaient à l’opération, Lisa surtout, qui gronda à son tour Léon, parce qu’il pinçait trop le boyau avec les doigts, ce qui produisait des nœuds, disait-elle. Quand le boudin fut emballé, Quenu le glissa douce-