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LE VENTRE DE PARIS.

rangée par bandes, occupait les deux côtés : les petits verres pour l’eau-de-vie, les gobelets épais pour les canons, les coupes pour les fruits, les verres à absinthe, les choppes, les grands verres à pied, tous renversés, le cul en l’air, reflétant dans leur pâleur les luisants du comptoir. Il y avait encore, à gauche, une urne de melchior montée sur un pied qui servait de tronc ; tandis que, à droite, une urne semblable se hérissait d’un éventail de petites cuillers.

D’ordinaire, monsieur Lebigre trônait derrière le comptoir, assis sur une banquette de cuir rouge capitonné. Il avait sous la main les liqueurs, des flacons de cristal taillé, à moitié enfoncés dans les trous d’une console ; et il appuyait son dos rond à une immense glace tenant tout le panneau, traversée par deux étagères, deux lames de verre qui supportaient des bocaux et des bouteilles. Sur l’une, les bocaux de fruits, les cerises, les prunes, les pêches, mettaient leurs taches assombries ; sur l’autre, entre des paquets de biscuits symétriques, des fioles claires, vert tendre, rouge tendre, jaune tendre, faisaient rêver à des liqueurs inconnues, à des extraits de fleurs d’une limpidité exquise. Il semblait que ces fioles fussent suspendues en l’air, éclatantes et comme allumées, dans la grande lueur blanche de la glace.

Pour donner à son établissement un air de café, monsieur Lebigre avait placé, en face du comptoir, contre le mur, deux petites tables de fonte vernie, avec quatre chaises. Un lustre à cinq becs et à globes dépolis pendait du plafond. L’œil-de-bœuf, une horloge toute dorée, était à gauche, au-dessus d’un tourniquet scellé dans la muraille. Puis, au fond, il y avait le cabinet particulier, un coin de la boutique que séparait une cloison, aux vitres blanchies par un dessin à petits carreaux ; pendant le jour, une fenêtre qui s’ouvrait sur la rue Pirouette, l’éclairait d’une clarté louche ; le soir, un bec de gaz y brûlait, au-dessus de deux tables peintes en faux marbre. C’était là que Gavard et ses amis politiques se réunis-