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LES ROUGON-MACQUART.

bossu de la criée, les mains lavées, proprement mis, avec un grand cache-nez rouge, dont un bout pendait sur sa bosse, comme le pan d’un manteau vénitien.

— Ah ! voici Logre, reprit le marchand de volailles. Il va nous dire ce qu’il pense du discours du trône, lui.

Mais Logre était furieux. Il faillit arracher la patère en accrochant son chapeau et son cache-nez. Il s’assit violemment, donna un coup de poing sur la table, rejeta le journal, en disant :

— Est-ce que je lis ça, moi, leurs sacrés mensonges !

Puis il éclata.

— A-t-on jamais vu des patrons se ficher du monde comme ça ! Il y a deux heures que j’attends mes appointements. Nous étions une dizaine dans le bureau. Ah bien, oui ! faites le pied de grue, mes agneaux… Monsieur Manoury est enfin arrivé, en voiture, de chez quelque gueuse, bien sûr. Ces facteurs, ça vole, ça se goberge… Et encore, il m’a tout donné en grosse monnaie, ce cochon-là.

Robine épousait la querelle de Logre, d’un léger mouvement de paupières. Le bossu, brusquement, trouva une victime.

— Rose ! Rose ! appela-t-il, en se penchant hors du cabinet.

Et, quand la jeune femme fut en face de lui, toute tremblante :

— Eh bien, quoi ! quand vous me regarderez !… Vous me voyez entrer et vous ne m’apportez pas mon mazagran…

Gavard commanda deux autres mazagrans. Rose se hâta de servir les trois consommations, sous les yeux sévères de Logre, qui semblait étudier les verres et les petits plateaux de sucre. Il but une gorgée, il se calma un peu.

— C’est Charvet, dit-il au bout d’un instant, qui doit en avoir assez… Il attend Clémence sur le trottoir.