Page:Emile Zola - Le Ventre de Paris.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
152
LES ROUGON-MACQUART.

— Est-ce que ton bon ami Florent te parle de moi ? demanda-t-elle un matin à Muche, en l’habillant.

— Ah ! non, répondit l’enfant. Nous nous amusons.

— Eh bien, dis-lui que je ne lui en veux plus et que je le remercie de t’apprendre à lire.

Dès lors, l’enfant, chaque jour, eut une commission. Il allait de sa mère à l’inspecteur, et de l’inspecteur à sa mère, chargé de mots aimables, de demandes et de réponses, qu’il répétait sans savoir ; on lui aurait fait dire les choses les plus énormes. Mais la belle Normande eut peur de paraître timide ; elle vint un jour elle-même, s’assit sur la seconde chaise, pendant que Muche prenait sa leçon d’écriture. Elle fut très-douce, très-complimenteuse. Florent resta plus embarrassé qu’elle. Ils ne parlèrent que de l’enfant. Comme il témoignait la crainte de ne pouvoir continuer les leçons dans le bureau, elle lui offrit de venir chez eux, le soir. Puis, elle parla d’argent. Lui, rougit, déclara qu’il n’irait pas, s’il était question de cela. Alors, elle se promit de le payer en cadeaux, avec de beaux poissons.

Ce fut la paix. La belle Normande prit même Florent sous sa protection. L’inspecteur finissait, d’ailleurs, par être accepté ; les poissonnières le trouvaient meilleur homme que monsieur Verlaque, malgré ses mauvais yeux. La mère Méhudin seule haussait les épaules ; elle gardait rancune au « grand maigre, » comme elle le nommait d’une façon méprisante. Et, un matin que Florent s’arrêta avec un sourire devant les viviers de Claire, la jeune fille, lâchant une anguille qu’elle tenait, lui tourna le dos, furieuse, toute gonflée et tout empourprée. Il en fut tellement surpris, qu’il en parla à la Normande.

— Laissez donc ! dit celle-ci, c’est une toquée… Elle n’est jamais de l’avis des autres. C’est pour me faire enrager, ce qu’elle a fait là.