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LES ROUGON-MACQUART.

nausées. Ce fut un détraquement lent, un ennui vague qui tourna à une vive surexcitation nerveuse.

Toutes ses journées se ressemblaient. Il marchait dans les mêmes bruits, dans les mêmes odeurs. Le matin, les bourdonnements des criées l’assourdissaient d’une lointaine sonnerie de cloches ; et, souvent, selon la lenteur des arrivages, les criées ne finissaient que très-tard. Alors, il restait dans le pavillon jusqu’à midi, dérangé à toute minute par des contestations, des querelles, au milieu desquelles il s’efforçait de se montrer très-juste. Il lui fallait des heures pour sortir de quelque misérable histoire qui révolutionnait le marché. Il se promenait au milieu de la cohue et du tapage de la vente, suivait les allées à petits pas, s’arrêtait parfois devant les poissonnières dont les bancs bordent la rue Rambuteau. Elles ont de grands tas roses de crevettes, des paniers rouges de langoustes cuites, liées, la queue arrondie ; tandis que des langoustes vivantes se meurent, aplaties sur le marbre. Là il regardait marchander des messieurs, en chapeau et en gants noirs, qui finissaient par emporter une langouste cuite, enveloppée d’un journal, dans une poche de leur redingote. Plus loin, devant les tables volantes où se vend le poisson commun, il reconnaissait les femmes du quartier, venant à la même heure, les cheveux nus. Parfois, il s’intéressait à quelque dame bien mise, traînant ses dentelles le long des pierres mouillées, suivie d’une bonne en tablier blanc ; celle-là, il l’accompagnait à quelque distance, en voyant les épaules se hausser derrière ses mines dégoûtées. Ce tohu-bohu de paniers, de sacs de cuir, de corbeilles, toutes ces jupes filant dans le ruissellement des allées, l’occupaient, le menaient jusqu’au déjeuner, heureux de l’eau qui coulait, de la fraîcheur qui soufflait, passant de l’âpreté marine des coquillages au fumet amer de la saline. C’était toujours par la saline qu’il terminait son inspection ; les caisses de harengs saurs, les sardines de Nantes sur des