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LES ROUGON-MACQUART.

mander dix francs ; si bien que les cent cinquante francs de l’employé passaient entièrement au ménage Verlaque. Le mari l’ignorait sans doute, la femme lui baisait les mains. Cette bonne action était sa grande jouissance ; il la cachait comme un plaisir défendu qu’il prenait en égoïste.

— Ce diable de Verlaque se moque de vous, disait parfois Gavard. Il se dorlote, maintenant que vous lui faites des rentes.

Il finit par répondre, un jour :

— C’est arrangé, je ne lui abandonne plus que vingt-cinq francs.

D’ailleurs, Florent n’avait aucun besoin. Les Quenu lui donnaient toujours la table et le coucher. Les quelques francs qui lui restaient suffisaient à payer sa consommation, le soir, chez monsieur Lebigre. Peu à peu, sa vie s’était réglée comme une horloge : il travaillait dans sa chambre ; continuait ses leçons au petit Muche, deux fois par semaine, de huit à neuf heures ; accordait une soirée à la belle Lisa, pour ne pas la fâcher ; et passait le reste de son temps dans le cabinet vitré, en compagnie de Gavard et de ses amis.

Chez les Méhudin, il arrivait avec sa douceur un peu roide de professeur. Le vieux logis lui plaisait. En bas, il passait dans les odeurs fades du marchand d’herbes cuites ; des bassines d’épinards, des terrines d’oseille, refroidissaient, au fond d’une petite cour. Puis, il montait l’escalier tournant, gras d’humidité, dont les marches, tassées et creusées, penchaient d’une façon inquiétante. Les Méhudin occupaient tout le second étage. Jamais la mère n’avait voulu déménager, lorsque l’aisance était venue, malgré les supplications des deux filles, qui rêvaient d’habiter une maison neuve, dans une rue large. La vieille s’entêtait, disait qu’elle avait vécu là, qu’elle mourrait là. D’ailleurs, elle se contentait d’un cabinet noir, laissant les chambres à Claire et à la Normande. Celle-ci, avec son autorité d’aînée, s’était emparée de la pièce