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LE VENTRE DE PARIS.

nuit tombait, et souvent la victoire était indécise ; parfois, l’une demeurait sur le carreau ; mais, le lendemain, elle prenait sa revanche. Dans le quartier, on ouvrait des paris pour la belle Lisa ou pour la belle Normande.

Elles en vinrent à défendre à leurs enfants de se parler. Pauline et Muche étaient bons amis, auparavant ; Pauline, avec ses jupes raides de demoiselle comme il faut ; Muche, débraillé, jurant, tapant, jouant à merveille au charretier. Quand ils s’amusaient ensemble sur le large trottoir, devant le pavillon de la marée, Pauline faisait la charrette. Mais un jour que Muche alla la chercher, tout naïvement, la belle Lisa le mit à la porte, en le traitant de galopin.

— Est-ce qu’on sait, dit-elle, avec ces enfants mal élevés !… Celui-ci a de si mauvais exemples sous les yeux, que je ne suis pas tranquille, quand il est avec ma fille.

L’enfant avait sept ans. Mademoiselle Saget, qui se trouvait là, ajouta :

— Vous avez bien raison. Il est toujours fourré avec les petites du quartier, ce garnement… On l’a trouvé dans une cave, avec la fille du charbonnier.

La belle Normande, quand Muche vint en pleurant lui raconter l’aventure, entra dans une colère terrible. Elle voulait aller tout casser chez les Quenu-Gradelle. Puis, elle se contenta de donner le fouet à Muche.

— Si tu y retournes jamais, cria-t-elle, furieuse, tu auras affaire à moi !

Mais la véritable victime des deux femmes était Florent. Au fond, lui seul les avait mises sur ce pied de guerre, elles ne se battaient que pour lui. Depuis son arrivée, tout allait de mal en pis ; il compromettait, fâchait, troublait ce monde qui avait vécu jusque-là dans une paix si grasse. La belle Normande l’aurait volontiers griffé, quand elle le voyait s’oublier trop longtemps chez les Quenu ; c’était pour beaucoup l’ardeur de la lutte qui la poussait au désir de cet