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LES ROUGON-MACQUART.

les chopes de Charvet et de Robine, les mazagrans de Logre, de Gavard et de Florent, et les petits verres de Lacaille et d’Alexandre, le cabinet était soigneusement barricadé, la séance était ouverte.

Charvet et Florent restaient naturellement les voix le plus écoutées. Gavard n’avait pu tenir sa langue, contant peu à peu toute l’histoire de Cayenne, ce qui mettait Florent dans une gloire de martyr. Ses paroles devenaient des actes de foi. Un soir, le marchand de volailles, vexé d’entendre attaquer son ami qui était absent, s’écria :

— Ne touchez pas à Florent, il est allé à Cayenne !

Mais Charvet se trouvait très-piqué de cet avantage.

— Cayenne, Cayenne, murmurait-il entre ses dents, on n’y était pas si mal que ça, après tout !

Et il tentait de prouver que l’exil n’est rien, que la grande souffrance consiste à rester dans son pays opprimé, la bouche bâillonnée, en face du despotisme triomphant. Si, d’ailleurs, on ne l’avait pas arrêté, au 2 décembre, ce n’était pas sa faute. Il laissait même entendre que ceux qui se font prendre sont des imbéciles. Cette jalousie sourde en fit l’adversaire systématique de Florent. Les discussions finissaient toujours par se circonscrire entre eux deux. Et ils parlaient encore pendant des heures, au milieu du silence des autres, sans que jamais l’un d’eux se confessât battu.

Une des questions les plus caressées était celle de la réorganisation du pays, au lendemain de la victoire.

— Nous sommes vainqueurs, n’est-ce pas ?… commençait Gavard.

Et, le triomphe une fois bien entendu, chacun donnait son avis. Il y avait deux camps. Charvet, qui professait l’hébertisme, avait avec lui Logre et Robine. Florent, toujours perdu dans son rêve humanitaire, se prétendait socialiste et s’appuyait sur Alexandre et sur Lacaille. Quant à Gavard, il ne répugnait pas aux idées violentes ; mais, comme on lui re-