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LE VENTRE DE PARIS.

Je suis descendu de bonne heure, me doutant qu’il y aurait un lever de soleil superbe sur ces gredins de choux.

Il montrait du geste toute la longueur du carreau. La maraîchère reprit :

— Eh bien, je m’en vais. Adieu… À bientôt, monsieur Claude !

Et comme elle partait, présentant Florent au jeune peintre :

— Tenez, voilà monsieur qui revient de loin, paraît-il. Il ne se reconnaît plus dans votre gueux de Paris. Vous pourriez peut-être lui donner un bon renseignement.

Elle s’en alla enfin, heureuse de laisser les deux hommes ensemble. Claude regardait Florent avec intérêt ; cette longue figure, mince et flottante, lui semblait originale. La présentation de madame François suffisait ; et, avec la familiarité d’un flâneur habitué à toutes les rencontres de hasard, il lui dit tranquillement :

— Je vous accompagne. Où allez-vous ?

Florent resta gêné. Il se livrait moins vite ; mais, depuis son arrivée, il avait une question sur les lèvres. Il se risqua, il demanda, avec la peur d’une réponse fâcheuse :

— Est-ce que la rue Pirouette existe toujours ?

— Mais oui, dit le peintre. Un coin bien curieux du vieux Paris, cette rue-là ! Elle tourne comme une danseuse, et les maisons y ont des ventres de femme grosse… J’en ai fait une eau-forte pas trop mauvaise. Quand vous viendrez chez moi, je vous la montrerai… C’est là que vous allez ?

Florent, soulagé, ragaillardi par la nouvelle que la rue Pirouette existait, jura que non, assura qu’il n’avait nulle part à aller. Toute sa méfiance se réveillait devant l’insistance de Claude.

— Ça ne fait rien, dit celui-ci, allons tout de même rue Pirouette. La nuit, elle est d’une couleur !… Venez donc, c’est à deux pas.