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LES ROUGON-MACQUART.

der Marjolin, elle s’en alla. Dans l’escalier, quand elle eut passé la grille, la clarté du plein jour lui fut un grand soulagement.

Elle rentra à la charcuterie, très-calme, un peu pâle.

— Tu as été bien longtemps, dit Quenu.

— Je n’ai pas trouvé Gavard, je l’ai cherché partout, répondit-elle tranquillement. Nous mangerons notre gigot sans lui.

Elle fit emplir le pot de saindoux qu’elle trouva vide, coupa des côtelettes pour son amie madame Taboureau, qui lui avait envoyé sa petite bonne. Les coups de couperet qu’elle donna sur l’étau lui rappelèrent Marjolin, en bas, dans la cave. Mais elle ne se reprochait rien. Elle avait agi en femme honnête. Ce n’était pas pour ce gamin qu’elle irait compromettre sa paix ; elle était trop à l’aise, entre son mari et sa fille. Cependant, elle regarda Quenu ; il avait à la nuque une peau rude, une couenne rougeâtre, et son menton rasé était d’une rugosité de bois noueux ; tandis que la nuque et le menton de l’autre semblaient du velours rose. Il n’y fallait plus penser, elle ne le toucherait plus là, puisqu’il songeait à des choses impossibles. C’était un petit plaisir permis qu’elle regrettait, en se disant que les enfants grandissent vraiment trop vite.

Comme de légères flammes remontaient à ses joues, Quenu la trouva « diablement portante. » Il s’était assis un instant auprès d’elle dans le comptoir, il répétait :

— Tu devrais sortir plus souvent. Ça te fait du bien… Si tu veux, nous irons au théâtre, un de ces soirs, à la Gaieté, où madame Taboureau a vu cette pièce qui est si bien…

Lisa sourit, dit qu’on verrait ça. Puis, elle disparut de nouveau. Quenu pensa qu’elle était trop bonne de courir ainsi après cet animal de Gavard. Il ne l’avait pas vue prendre l’escalier. Elle venait de monter à la chambre de Florent, dont la clef restait accrochée à un clou de la cuisine.