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LE VENTRE DE PARIS.

parbleu ! Saint-Eustache est là-bas avec sa rosace, vide de son peuple dévot, tandis que les Halles s’élargissent à côté, toutes bourdonnantes de vie… Voilà ce que je vois, mon brave !

— Ah bien ! dit en riant madame François, savez-vous, monsieur Claude, que la femme qui vous a coupé le filet n’a pas volé ses cinq sous ? Balthazar tend les oreilles pour vous écouter… Hue donc, Balthazar !

La voiture montait lentement. À cette heure matinale, l’avenue était déserte, avec ses chaises de fonte alignées sur les deux trottoirs, et ses pelouses, coupées de massifs, qui s’enfonçaient sous le bleuissement des arbres. Au rond-point, un cavalier et une amazone passèrent au petit trot. Florent, qui s’était fait un oreiller d’un paquet de feuilles de choux, regardait toujours le ciel, où s’allumait une grande lueur rose. Par moments, il fermait les yeux pour mieux sentir la fraîcheur du matin lui couler sur la face, si heureux de s’éloigner des Halles, d’aller dans l’air pur, qu’il restait sans voix, n’écoutant même pas ce qu’on disait autour de lui.

— Ils sont encore bons ceux qui mettent l’art dans une boîte à joujoux ! reprit Claude au bout d’un silence. C’est leur grand mot : on ne fait pas de l’art avec la science, l’industrie tue la poésie ; et tous les imbéciles se mettent à pleurer sur les fleurs, comme si quelqu’un songeait à se mal conduire à l’égard des fleurs… Je suis agacé, à la fin, positivement. J’ai des envies de répondre à ces pleurnicheries par des œuvres de défi. Ça m’amuserait de révolter un peu ces braves gens… Voulez-vous que je vous dise quelle a été ma plus belle œuvre, depuis que je travaille, celle dont le souvenir me satisfait le plus ? C’est toute une histoire… L’année dernière, la veille de la Noël, comme je me trouvais chez ma tante Lisa, le garçon de la charcuterie, Auguste, cet idiot, vous savez, était en train de faire l’étalage. Ah ! le misérable ! Il me poussa à bout par la façon molle dont il