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LES ROUGON-MACQUART.

qu’elle venait s’assurer de la propreté du linge, si Florent remontait. Elle l’avait vu, en bas, très-occupé, au milieu de la marée. S’asseyant devant la petite table, elle enleva le tiroir, le mit sur ses genoux, le vida avec de grandes précautions, en ayant grand soin de replacer les paquets de papiers dans le même ordre. Elle trouva d’abord les premiers chapitres de l’ouvrage sur Cayenne, puis les projets, les plans de toutes sortes, la transformation des octrois en taxes sur les transactions, la réforme du système administratif des Halles, et les autres. Ces pages de fine écriture qu’elle s’appliquait à lire l’ennuyèrent beaucoup ; elle allait remettre le tiroir, convaincue que Florent cachait ailleurs la preuve de ses mauvais desseins, rêvant déjà de fouiller la laine des matelas, lorsqu’elle découvrit, dans une enveloppe à lettre, le portrait de la Normande. La photographie était un peu noire. La Normande posait debout, le bras droit appuyé sur une colonne tronquée ; et elle avait tous ses bijoux, une robe de soie neuve qui bouffait, un rire insolent. Lisa oublia son beau-frère, ses terreurs, ce qu’elle était venue faire là. Elle s’absorba dans une de ces contemplations de femme dévisageant une autre femme, tout à l’aise, sans crainte d’être vue. Jamais elle n’avait eu le loisir d’étudier sa rivale de si près. Elle examina les cheveux, le nez, la bouche, éloigna la photographie, la rapprocha. Puis, les lèvres pincées, elle lut sur le revers, écrit en grosses vilaines lettres : « Louise à son ami Florent. » Cela la scandalisa, c’était un aveu. L’envie lui vint de prendre cette carte, de la garder comme une arme contre son ennemie. Elle la remit lentement dans l’enveloppe, en songeant que ce serait mal, et qu’elle la retrouverait toujours, d’ailleurs.

Alors, feuilletant de nouveau les pages volantes, les rangeant une à une, elle eut l’idée de regarder au fond, à l’endroit où Florent avait repoussé le fil et les aiguilles d’Augustine ; et là, entre le paroissien et la Clef des songes,