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LE VENTRE DE PARIS.

— Moi, si mon oncle me donnait ça, je m’amuserais joliment avec Jules… Nous ne nous lèverions plus, nous ferions monter de bonnes choses du restaurant.

Madame Lecœur restait comme écrasée sous cette révélation, sous cet or qu’elle ne pouvait maintenant chasser de sa vue. L’envie l’étreignait aux flancs. Enfin elle leva ses bras maigres, ses mains sèches, dont les ongles débordaient de beurre figé ; et elle ne put que balbutier, d’un ton plein d’angoisse :

— Il n’y faut pas penser, ça fait trop de mal.

— Eh ! ce serait votre bien, si un accident arrivait, dit mademoiselle Saget. Moi, à votre place, je veillerais à mes intérêts… Vous comprenez, ce pistolet ne dit rien de bon. Monsieur Gavard est mal conseillé. Tout ça finira mal.

Elles en revinrent à Florent. Elles le déchirèrent avec plus de fureur encore. Puis, posément, elles calculèrent où ces mauvaises histoires pouvaient les mener, lui et Gavard. Très-loin, à coup sûr, si l’on avait la langue trop longue. Alors, elles jurèrent, quant à elles, de ne pas ouvrir la bouche, non que cette canaille de Florent méritât le moindre ménagement, mais parce qu’il fallait éviter à tout prix que le digne monsieur Gavard fût compromis. Elles s’étaient levées, et comme mademoiselle Saget s’en allait :

— Pourtant, dans le cas d’un accident, demanda la marchande de beurre, croyez-vous qu’on pourrait se fier à madame Léonce ?… C’est elle peut-être qui a la clef de l’armoire ?

— Vous m’en demandez trop long, répondit la vieille. Je la crois très-honnête femme, mais, après tout, je ne sais pas ; il y a des circonstances… Enfin, je vous ai prévenues toutes les deux ; c’est votre affaire.

Elles restaient debout, se saluant, dans le bouquet final des fromages. Tous, à cette heure, donnaient à la fois. C’était une cacophonie de souffles infects, depuis les lourdeurs