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LE VENTRE DE PARIS.

-elle pour vivre là-dedans ?… Au moins, ici, c’est doux, c’est bon. Cela vous rend toute rose, ma belle.

La Sarriette se mit à rire. Elle aimait les compliments. Puis, elle vendit une livre de mirabelles à une dame, en disant que c’était un sucre.

— J’en achèterais bien, des mirabelles, murmura mademoiselle Saget, quand la dame fut partie, seulement il m’en faut si peu… Une femme seule, vous comprenez… ?

— Prenez-en donc une poignée, s’écria la jolie brune. Ce n’est pas ça qui me ruinera… Envoyez-moi Jules, n’est-ce pas ? si vous le voyez. Il doit fumer son cigare, sur le premier banc, en sortant de la grande rue, à droite.

Mademoiselle Saget avait élargi les doigts pour prendre la poignée de mirabelles, qui alla rejoindre le bondon dans le cabas. Elle feignit de vouloir sortir des Halles ; mais elle fit un détour par une des rues couvertes, marchant lentement, songeant que des mirabelles et un bondon composaient un dîner par trop maigre. D’ordinaire, après sa tournée de l’après-midi, lorsqu’elle n’avait pas réussi à faire emplir son cabas par les marchandes, qu’elle comblait de cajoleries et d’histoires, elle en était réduite aux rogatons. Elle retourna sournoisement au pavillon du beurre. Là, du côté de la rue Berger, derrière les bureaux des facteurs aux huîtres, se trouvent les bancs de viandes cuites. Chaque matin, de petites voitures fermées, en forme de caisses, doublées de zinc et garnies de soupiraux, s’arrêtent aux portes des grandes cuisines, rapportent pêle-mêle la desserte des restaurants, des ambassades, des ministères. Le triage a lieu dans la cave. Dès neuf heures, les assiettes s’étalent, parées, à trois sous et à cinq sous, morceaux de viande, filets de gibier, têtes ou queues de poissons, légumes, charcuterie, jusqu’à du dessert, des gâteaux à peine entamés et des bonbons presque entiers. Les meurt-de-faim, les petits employés, les femmes grelottant la fièvre,