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LE VENTRE DE PARIS.

— Entre donc ! lui criait Lisa.

Elle lui donnait des cornichons, le plus souvent. Il les adorait, les mangeait avec son rire d’innocent, devant le comptoir. La vue de la belle charcutière le ravissait, le faisait taper de joie dans ses mains. Puis, il sautait, poussait de petits cris, comme un gamin mis en face d’une bonne chose. Elle, les premiers jours, avait eu peur qu’il ne se souvînt.

— Est-ce que la tête te fait toujours mal ? lui demanda-t-elle.

Il répondit non, par un balancement de tout le corps, éclatant d’une gaieté plus vive. Elle reprit doucement :

— Alors, tu étais tombé ?

— Oui, tombé, tombé, tombé, se mit-il à chanter sur un ton de satisfaction parfaite, en se donnant des claques sur le crâne.

Puis, sérieusement, en extase, il répétait, en la regardant, les mots « belle, belle, belle, » sur un air plus ralenti. Cela touchait beaucoup Lisa. Elle avait exigé de Gavard qu’il le gardât. C’était lorsqu’il lui avait chanté son air de tendresse humble, qu’elle le caressait sous le menton, en lui disant qu’il était un brave enfant. Sa main s’oubliait là, tiède d’une joie discrète ; cette caresse était redevenue un plaisir permis, une marque d’amitié que le colosse recevait en tout enfantillage. Il gonflait un peu le cou, fermait les yeux de jouissance, comme une bête que l’on flatte. La belle charcutière, pour s’excuser à ses propres yeux du plaisir honnête qu’elle prenait avec lui, se disait qu’elle compensait ainsi le coup de poing dont elle l’avait assommé, dans la cave aux volailles.

Cependant, la charcuterie restait chagrine. Florent s’y hasardait quelquefois encore, serrant la main de son frère, dans le silence glacial de Lisa. Il y venait même dîner de loin en loin, le dimanche. Quenu faisait alors de grands efforts de gaieté, sans pouvoir échauffer le repas. Il mangeait mal,