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LE VENTRE DE PARIS.


— Nous verrons, nous verrons, répétait brièvement la marchande de beurre.

Il fallut en effet parlementer. Madame Léonce ne voulait pas laisser monter ces dames à l’appartement de son locataire. Elle avait la mine très-austère, choquée par le fichu mal noué de la Sarriette. Mais quand la vieille demoiselle lui eut dit quelques mots tout bas, et qu’on lui eut montré la clef, elle se décida. En haut, elle ne livra les pièces qu’une à une, exaspérée, le cœur saignant comme si elle avait dû indiquer elle-même à des voleurs l’endroit où son argent se trouvait caché.

— Allez, prenez tout, s’écria-t-elle, en se jetant dans un fauteuil.

La Sarriette essayait déjà la clef à toutes les armoires. Madame Lecœur, d’un air soupçonneux, la suivait de si près, était tellement sur elle, qu’elle lui dit :

— Mais, ma tante, vous me gênez. Laissez-moi les bras libres, au moins.

Enfin, une armoire s’ouvrit, en face de la fenêtre, entre la cheminée et le lit. Les quatre femmes poussèrent un soupir. Sur la planche du milieu, il y avait une dizaine de mille francs en pièces d’or, méthodiquement rangées par petites piles. Gavard, dont la fortune était prudemment déposée chez un notaire, gardait cette somme en réserve pour « le coup de chien. » Comme il le disait avec solennité, il tenait prêt son apport dans la révolution. Il avait vendu quelques titres, goûtant une jouissance particulière à regarder les dix mille francs chaque soir, les couvant des yeux, en leur trouvant la mine gaillarde et insurrectionnelle. La nuit, il rêvait qu’on se battait dans son armoire ; il y entendait des coups de fusil, des pavés arrachés et roulant, des voix de vacarme et de triomphe : c’était son argent qui faisait de l’opposition.

La Sarriette avait tendu les mains, avec un cri de joie.