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LE VENTRE DE PARIS.

la volée. Et il le regarda, dans le soleil, se poser sur le toit de la poissonnerie, comme étourdi, puis, d’un autre vol, disparaître par-dessus les Halles, du côté du square des Innocents. Il resta encore un instant en face du ciel, du ciel libre ; il songeait aux ramiers roucoulants des Tuileries, aux pigeons des resserres, la gorge crevée par Marjolin. Alors, tout se brisa en lui, il suivit les agents qui remettaient leurs revolvers dans la poche, en haussant les épaules.

Au bas de l’escalier, Florent s’arrêta devant la porte qui ouvrait sur la cuisine de la charcuterie. Le commissaire qui l’attendait là, presque touché par sa douceur obéissante, lui demanda :

— Voulez-vous dire adieu à votre frère ?

Il hésita un instant. Il regardait la porte. Un bruit terrible de hachoirs et de marmites venait de la cuisine. Lisa, pour occuper son mari, avait imaginé de lui faire emballer dans la matinée le boudin qu’il ne fabriquait d’ordinaire que le soir. L’oignon chantait sur le feu. Florent entendit la voix joyeuse de Quenu qui dominait le vacarme, disant :

— Ah ! sapristi, le boudin sera bon… Auguste, passez-moi les gras !

Et Florent remercia le commissaire, avec la peur de rentrer dans cette cuisine chaude, pleine de l’odeur forte de l’oignon cuit. Il passa devant la porte, heureux de croire que son frère ne savait rien, hâtant le pas pour éviter un dernier chagrin à la charcuterie. Mais, en recevant au visage le grand soleil de la rue, il eut honte, il monta dans le fiacre, l’échine pliée, la figure terreuse. Il sentait en face de lui la poissonnerie triomphante, il lui semblait que tout le quartier était là qui jouissait.

— Hein ! la fichue mine, dit mademoiselle Saget.

— Une vraie mine de forçat pincé la main dans le sac, ajouta madame Lecœur.

— Moi, reprit la Sarriette en montrant ses dents blanches,