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LE VENTRE DE PARIS.

lui qui balayait, qui faisait la cuisine… Il m’aimait comme son enfant, vois-tu ; il revenait crotté, las à ne plus remuer ; et moi, je mangeais bien, j’avais chaud, à la maison… Maintenant, voilà qu’on va le fusiller.

Lisa se récria, dit qu’on ne le fusillerait pas. Mais il secouait la tête. Il continua :

— Ça ne fait rien, je ne l’ai pas assez aimé. Je puis bien dire ça à cette heure. J’ai eu mauvais cœur, j’ai hésité à lui rendre sa part de l’héritage…

— Eh ! je la lui ai offerte plus de dix fois, s’écria-t-elle. Nous n’avons rien à nous reprocher.

— Oh ! toi, je sais bien, tu es bonne, tu lui aurais tout donné… Moi, ça me faisait quelque chose, que veux-tu ! Ce sera le chagrin de toute ma vie. Je penserai toujours que si j’avais partagé avec lui, il n’aurait pas mal tourné une seconde fois… C’est ma faute, c’est moi qui l’ai livré.

Elle se fit plus douce, lui dit qu’il ne fallait pas se frapper l’esprit. Elle plaignait même Florent. D’ailleurs, il était très-coupable. S’il avait eu plus d’argent, peut-être qu’il aurait fait davantage de bêtises. Peu à peu, elle arrivait à laisser entendre que ça ne pouvait pas finir autrement, que tout le monde allait se mieux porter. Quenu pleurait toujours, s’essuyait les joues avec son tablier, étouffant ses sanglots pour l’écouter, puis éclatant bientôt en larmes plus abondantes. Il avait machinalement mis les doigts dans un tas de chair à saucisse qui se trouvait sur la planche à hacher ; il y faisait des trous, la pétrissait rudement.

— Tu te rappelles, tu ne te sentais pas bien, continua Lisa. C’est que nous n’avions plus nos habitudes. J’étais très-inquiète, sans te le dire ; je voyais bien que tu baissais.

— N’est-ce pas ? murmura-t-il, en cessant un instant de sangloter.

– Et la maison, non plus, n’a pas marché cette année. C’était comme un sort… Va, ne pleure pas, tu verras comme