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LES ROUGON-MACQUART.

— Un garçon doux comme une fille, que j’ai vu se trouver mal en regardant saigner des pigeons… Ça m’a fait rire de pitié, quand je l’ai aperçu entre deux gendarmes. Allez, nous ne le verrons plus, il restera là-bas, cette fois.

— Il aurait dû m’écouter, dit la maraîchère au bout d’un silence, venir à Nanterre, vivre là, avec mes poules et mes lapins… Je l’aimais bien, voyez-vous, parce que j’avais compris qu’il était bon. On aurait pu être heureux… C’est un grand chagrin… Consolez-vous, n’est-ce pas ? monsieur Claude. Je vous attends, pour manger une omelette, un de ces matins.

Elle avait des larmes dans les yeux. Elle se leva, en femme vaillante qui porte rudement la peine.

— Tiens ! reprit-elle, voilà la mère Chantemesse qui vient m’acheter des navets. Toujours gaillarde, cette grosse mère Chantemesse…

Claude s’en alla, rôdant sur le carreau. Le jour, en gerbe blanche, avait monté du fond de la rue Rambuteau. Le soleil, au ras des toits, mettait des rayons roses, des nappes tombantes qui touchaient déjà les pavés. Et Claude sentait un réveil de gaieté dans les grandes Halles sonores, dans le quartier empli de nourritures entassées. C’était comme une joie de guérison, un tapage plus haut de gens soulagés enfin d’un poids qui leur gênait l’estomac. Il vit la Sarriette, avec une montre d’or, chantant au milieu de ses prunes et de ses fraises, tirant les petites moustaches de monsieur Jules, vêtu d’un veston de velours. Il aperçut madame Lecœur et mademoiselle Saget qui passaient sous une rue couverte, moins jaunes, les joues presque roses, en bonnes amies amusées par quelque histoire. Dans la poissonnerie, la mère Méhudin, qui avait repris son banc, tapait ses poissons, engueulait le monde, clouait le bec du nouvel inspecteur, un jeune homme auquel elle avait juré de donner le fouet ; tandis que Claire, plus molle, plus paresseuse, ramenait, de ses