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LES ROUGON-MACQUART.


Puis, se tournant vers une petite fille qui s’était réfugiée dans un coin :

— Pauline, va donc chercher ta mère.

Mais la petite ne bougea pas. C’était une superbe enfant de cinq ans, ayant une grosse figure ronde, d’une grande ressemblance avec la belle charcutière. Elle tenait, entre ses bras, un énorme chat jaune, qui s’abandonnait d’aise, les pattes pendantes ; et elle le serrait de ses petites mains, pliant sous la charge, comme si elle eût craint que ce monsieur si mal habillé ne le lui volât.

Lisa arriva lentement.

— C’est Florent, c’est mon frère, répétait Quenu.

Elle l’appela « monsieur, » fut très-bonne. Elle le regardait paisiblement, de la tête aux pieds, sans montrer aucune surprise malhonnête. Ses lèvres seules avaient un léger pli. Et elle resta debout, finissant par sourire des embrassades de son mari. Celui-ci pourtant parut se calmer. Alors il vit la maigreur, la misère de Florent.

— Ah ! mon pauvre ami, dit-il, tu n’as pas embelli, là-bas… Moi, j’ai engraissé, que veux-tu !

Il était gras, en effet, trop gras pour ses trente ans. Il débordait dans sa chemise, dans son tablier, dans ses linges blancs qui l’emmaillotaient comme un énorme poupon. Sa face rasée s’était allongée, avait pris à la longue une lointaine ressemblance avec le groin de ces cochons, de cette viande, où ses mains s’enfonçaient et vivaient, la journée entière. Florent le reconnaissait à peine. Il s’était assis, il passait de son frère à la belle Lisa, à la petite Pauline. Ils suaient la santé ; ils étaient superbes, carrés, luisants ; ils le regardaient avec l’étonnement de gens très-gras pris d’une vague inquiétude en face d’un maigre. Et le chat lui-même, dont la peau pétait de graisse, arrondissait ses yeux jaunes, l’examinait d’un air défiant.