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LE VENTRE DE PARIS.

avec les soins tranquilles qu’elle avait donnés à la veuve du directeur des postes. Bientôt la propreté des tabliers de Lisa fut proverbiale dans le quartier. L’oncle Gradelle était si content de cette belle fille, qu’il disait parfois à Quenu, en ficelant ses saucissons :

— Si je n’avais pas soixante ans passés, ma parole d’honneur, je ferais la bêtise de l’épouser… C’est de l’or en barre, mon garçon, une femme comme ça dans le commerce.

Quenu réfléchissait. Il rit pourtant à belles dents, un jour qu’un voisin l’accusa d’être amoureux de Lisa. Cela ne le tourmentait guère. Ils étaient très-bons amis. Le soir, ils montaient ensemble se coucher. Lisa occupait, à côté du trou noir où s’allongeait le jeune homme, une petite chambre qu’elle avait rendue toute claire, en l’ornant partout de rideaux de mousseline. Ils restaient là, un instant, sur le palier, leur bougeoir à la main, causant, mettant la clef dans la serrure. Et ils refermaient leur porte, disant amicalement :

— Bonsoir, mademoiselle Lisa.

— Bonsoir, monsieur Quenu.

Quenu se mettait au lit en écoutant Lisa faire son petit ménage. La cloison était si mince, qu’il pouvait suivre chacun de ses mouvements. Il pensait : « Tiens, elle tire les rideaux de sa fenêtre. Qu’est-ce qu’elle peut bien faire devant sa commode ? La voilà qui s’assoit et qui ôte ses bottines. Ma foi, bonsoir, elle a soufflé sa bougie. Dormons. » Et, s’il entendait craquer le lit, il murmurait en riant : « Fichtre ! elle n’est pas légère, mademoiselle Lisa. » Cette idée l’égayait ; il finissait par s’endormir, en songeant aux jambons et aux bandes de petit salé qu’il devait préparer le lendemain.

Cela dura un an, sans une rougeur de Lisa, sans un embarras de Quenu. Le matin, au fort du travail, lorsque la jeune fille venait à la cuisine, leurs mains se rencontraient