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LE VENTRE DE PARIS.


Le mariage eut lieu le mois suivant. Le quartier le trouva naturel, tout à fait convenable. On connaissait vaguement l’histoire du trésor, la probité de Lisa était un sujet d’éloges sans fin ; après tout, elle pouvait ne rien dire à Quenu, garder les écus pour elle ; si elle avait parlé, c’était par honnêteté pure, puisque personne ne l’avait vue. Elle méritait bien que Quenu l’épousât. Ce Quenu avait de la chance, il n’était pas beau, et il trouvait une belle femme qui lui déterrait une fortune. L’admiration alla si loin, qu’on finit par dire tout bas que « Lisa était vraiment bête d’avoir fait ce qu’elle avait fait. » Lisa souriait, quand on lui parlait de ces choses à mots couverts. Elle et son mari vivaient comme auparavant, dans une bonne amitié, dans une paix heureuse. Elle l’aidait, rencontrait ses mains au milieu des hachis, se penchait au-dessus de son épaule pour visiter d’un coup d’œil les marmites. Et ce n’était toujours que le grand feu de la cuisine qui leur mettait le sang sous la peau.

Cependant, Lisa était une femme intelligente qui comprit vite la sottise de laisser dormir leurs quatre-vingt-quinze mille francs dans le tiroir de la commode. Quenu les aurait volontiers remis au fond du saloir, en attendant d’en avoir gagné autant ; ils se seraient alors retirés à Suresnes, un coin de la banlieue qu’ils aimaient. Mais elle avait d’autres ambitions. La rue Pirouette blessait ses idées de propreté, son besoin d’air, de lumière, de santé robuste. La boutique, où l’oncle Gradelle avait amassé son trésor, sou à sou, était une sorte de boyau noir, une de ces charcuteries douteuses des vieux quartiers, dont les dalles usées gardent l’odeur forte des viandes, malgré les lavages ; et la jeune femme rêvait une de ces claires boutiques modernes, d’une richesse de salon, mettant la limpidité de leurs glaces sur le trottoir d’une large rue. Ce n’était pas, d’ailleurs, l’envie mesquine de faire la dame, derrière un comptoir ; elle avait une conscience très-nette des nécessités luxueuses du nouveau com-