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LE VENTRE DE PARIS.

entendait, il serait capable de venir vous reprendre l’argent… Il ne m’aimait guère, l’oncle Gradelle.

— Ah ! pour ça, non, il ne t’aimait guère, murmura Quenu à bout de forces.

Mais Lisa discutait encore. Elle disait qu’elle ne voulait pas avoir dans son secrétaire de l’argent qui ne fût pas à elle, que cela la troublerait, qu’elle n’allait plus vivre tranquille avec cette pensée. Alors Florent, continuant à plaisanter, lui offrit de placer son argent chez elle, dans sa charcuterie. D’ailleurs, il ne refusait pas leurs services ; il ne trouverait sans doute pas du travail tout de suite ; puis il n’était guère présentable, il lui faudrait un habillement complet.

— Pardieu ! s’écria Quenu, tu coucheras chez nous, tu mangeras chez nous, et nous allons t’acheter le nécessaire. C’est une affaire entendue… Tu sais bien que nous ne te laisserons pas sur le pavé, que diable !

Il était tout attendri. Il avait même quelque honte d’avoir eu peur de donner une grosse somme, en un coup. Il trouva des plaisanteries ; il dit à son frère qu’il se chargeait de le rendre gras. Celui-ci hocha doucement la tête. Cependant, Lisa pliait la page de calculs. Elle la mit dans un tiroir du secrétaire.

— Vous avez tort, dit-elle, comme pour conclure. J’ai fait ce que je devais faire. Maintenant, ce sera comme vous voudrez… Moi, voyez-vous, je n’aurais pas vécu en paix. Les mauvaises pensées me dérangent trop.

Ils parlèrent d’autre chose. Il fallait expliquer la présence de Florent, en évitant de donner l’éveil à la police. Il leur apprit qu’il était rentré en France, grâce aux papiers d’un pauvre diable, mort entre ses bras de la fièvre jaune, à Surinam. Par une rencontre singulière, ce garçon se nommait également Florent, mais de son prénom. Florent Laquerrière n’avait laissé qu’une cousine à Paris, dont on lui avait écrit la mort en Amérique ; rien n’était plus facile que de jouer