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POT-BOUILLE

geois, à Mort-la-Ville, dans leur maison ; seulement, madame Gourd adorait Paris, malgré ses jambes enflées qui l’empêchaient d’aller jusqu’au trottoir ; et ils attendaient d’avoir arrondi leurs rentes, le cœur crevé d’ailleurs et reculant, chaque fois que l’envie leur venait de vivre enfin sur la petite fortune gagnée sou à sou.

— Il ne faut pas qu’on m’ennuie, conclut-il en redressant sa taille de bel homme. Je ne travaille plus pour manger… La clef du grenier, n’est-ce pas ? monsieur Mouret. Où avons-nous donc mis la clef du grenier, ma bonne ?

Mais, douillettement assise, madame Gourd prenait son café au lait dans une tasse d’argent, devant un feu de bois, dont les flammes égayaient la grande pièce claire. Elle ne savait plus ; peut-être au fond de la commode. Et, tout en trempant ses rôties, elle ne quittait pas des yeux la porte de l’escalier de service, à l’autre bout de la cour, plus nue et plus sévère par ce temps de pluie.

— Attention ! la voilà ! dit-elle brusquement, comme une femme sortait de cette porte.

Aussitôt, M. Gourd se planta devant la loge, pour barrer le chemin à la femme, qui avait ralenti le pas, l’air inquiet.

— Nous la guettons depuis ce matin, monsieur Mouret, reprit-il à demi-voix. Hier soir, nous l’avons vue passer… Vous savez, ça vient de chez ce menuisier, là-haut, le seul ouvrier que nous ayons dans la maison, Dieu merci ! Et encore, si le propriétaire m’écoutait, il garderait son cabinet vide, une chambre de bonne qui est en dehors des locations. Pour cent trente francs par an, ça ne vaut vraiment pas la peine d’avoir de la saleté chez soi…

Il s’interrompit, il demanda rudement à la femme :