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LES ROUGON-MACQUART

est cela, pas jeune, pas beau, pas intelligent. Nous causons, n’est-ce pas ? c’est naturel… Seulement, il est très bien, jamais nous ne trouverons mieux ; et, voulez-vous que je le dise ? c’est un parti inespéré pour Berthe. Moi, j’allais donner ma langue aux chiens, parole d’honneur !

Elle s’était levée. M. Josserand, réduit au silence, recula sa chaise.

— J’ai une seule peur, continua-t-elle en se plantant résolument devant son frère, c’est qu’il ne veuille plus, si on ne lui compte pas la dot, le jour du contrat… Ça s’explique, il a besoin d’argent, ce garçon…

Mais, à ce moment, un souffle ardent, qu’elle entendit derrière elle, la fit se tourner. Saturnin était là, la tête passée dans l’entrebâillement de la porte, écoutant avec des yeux de loup. Et ce fut toute une panique, car il avait volé une broche à la cuisine, pour embrocher les oies, disait-il. L’oncle Bachelard, très inquiet du tour que prenait la conversation, profita de l’alerte.

— Ne vous dérangez pas, cria-t-il de l’antichambre. Je m’en vais, j’ai un rendez-vous à minuit, avec un de mes clients, qui vient exprès du Brésil.

Quand on fut parvenu à coucher Saturnin, madame Josserand, exaspérée, déclara qu’il était impossible de le garder davantage. Il finirait par faire un malheur, si on ne l’enfermait pas dans une maison de fous. Ce n’était plus une vie, de toujours le cacher. Jamais ses sœurs ne se marieraient, tant qu’il serait là, à dégoûter et à effrayer le monde.

— Attendons encore, murmura M. Josserand, dont le cœur saignait à l’idée de cette séparation.

— Non, non ! déclara la mère, je n’ai pas envie qu’il m’embroche à la fin !… Je tenais mon frère, j’allais le mettre au pied du mur… N’importe ! nous irons demain avec Berthe le relancer chez lui, et nous verrons s’il