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POT-BOUILLE

mante. Elle gardait le bagou parisien, un esprit de surface et d’emprunt, une gale de drôlerie attrapée en se frottant aux hommes. Au demeurant, l’air grande dame, quand elle voulait.

— Monsieur, trop heureuse… Tous les amis d’Alphonse sont les miens… Vous voilà des nôtres, la maison est à vous.

Duveyrier, prévenu par une lettre de Bachelard, fit aussi un accueil aimable à M. Josserand. Octave fut étonné de son air de jeunesse. Ce n’était plus l’homme sévère et mal à l’aise, qui ne semblait pas être chez lui, dans le salon de la rue de Choiseul. Les taches saignantes de son front tournaient au rose, ses yeux obliques luisaient d’une gaieté d’enfant, tandis que Clarisse racontait, au milieu d’un groupe, comment il s’échappait parfois pour la venir voir, pendant une suspension d’audience ; juste le temps de se jeter dans un fiacre, de l’embrasser et de repartir. Alors, il se plaignit d’être accablé : quatre audiences par semaine, de onze heures à cinq heures ; toujours les mêmes écheveaux de chicanes à débrouiller ; ça finissait par dessécher le cœur.

— C’est vrai, dit-il en riant, on a besoin de mettre là dedans quelques roses. Je me sens meilleur ensuite.

Pourtant, il n’avait pas son ruban rouge, qu’il retirait quand il venait chez sa maîtresse ; un dernier scrupule, une distinction délicate, où sa pudeur s’entêtait. Clarisse, sans vouloir le dire, en était très blessée.

Octave, qui avait tout de suite serré la main de la jeune femme en camarade, écoutait, regardait. Le salon, avec son tapis à grandes fleurs, son meuble et ses tentures de satin grenat, ressemblait beaucoup au salon de la rue de Choiseul ; et, comme pour compléter cette ressemblance, plusieurs des amis du conseiller, qu’il avait vus là-bas, le soir du concert, se