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LES ROUGON-MACQUART

Berthe alors, tranquille, demanda :

— Comment va-t-elle ?

Du coup, madame Josserand redevint très aigre. Comment ! Berthe le savait ! Mais sans doute elle le savait, tout le monde le savait. Seul, son mari, qu’elle montra conduisant au buffet une vieille dame, ignorait encore l’histoire. Même elle allait charger quelqu’un de le mettre au courant, car ça lui donnait l’air bête, d’être toujours ainsi, en arrière des autres, à ne se douter de rien.

— Et moi qui m’échine à vouloir cacher leur catastrophe ! dit madame Josserand outrée. Ah bien ! je ne vais plus me gêner, il faut que ça finisse. Je ne tolérerai pas qu’ils te rendent ridicule.

Tout le monde le savait, en effet. Seulement, pour ne pas attrister le bal, on n’en parlait point. L’orchestre avait couvert les premiers apitoiements ; puis, on en souriait à cette heure, dans les étreintes plus libres des couples. Il faisait très chaud, la nuit s’avançait. Des domestiques passaient des rafraîchissements. Sur un canapé, deux petites filles, vaincues par la fatigue, s’étaient endormies aux bras l’une de l’autre, la joue contre la joue. Près de l’orchestre, dans le ronflement d’une contre-basse, M. Vabre s’était décidé à entretenir M. Josserand de son grand ouvrage, au sujet d’un doute qui, depuis quinze jours, l’arrêtait sur les œuvres véritables de deux peintres de même nom ; tandis que, près de là, Duveyrier, au milieu d’un groupe, blâmait vivement l’empereur d’avoir autorisé, à la Comédie-Française, une pièce qui attaquait la société. Mais, lorsqu’une valse ou une polka revenait, les hommes devaient céder la place, des couples élargissaient la danse, des jupes rasaient le parquet, soulevant dans la chaleur des bougies la fine poussière et l’odeur musquée des toilettes.