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LES ROUGON-MACQUART

la chaleur suffocante du cabinet. Enfin, à onze heures, ils parlèrent de rentrer ; mais ils étaient très rouges, l’air frais de la rue les grisa. Alors, comme la petite, tombant de sommeil, refusait de marcher, Octave, pour bien faire les choses jusqu’au bout, voulut absolument prendre une voiture, malgré le voisinage de la rue de Choiseul. Dans le fiacre, il eut le scrupule de ne pas serrer entre les siennes les jambes de Marie. Seulement, en haut, pendant que Jules bordait Lilitte, il posa un baiser sur le front de la jeune femme, le baiser d’adieu d’un père qui cède sa fille à un gendre. Puis, les voyant, très amoureux, se regarder d’un air ivre, il les coucha, il leur souhaita à travers la porte une bonne nuit, avec beaucoup de jolis rêves.

—  Ma foi, pensait-il en se fourrant tout seul dans son lit, ça m’a coûté cinquante francs, mais je leur devais bien ça… Après tout, je n’ai qu’un désir, c’est que son mari la rende heureuse, cette petite femme !

Et, attendri de son bon cœur, il résolut, avant de s’endormir, de tenter le grand coup, le lendemain soir.

Chaque lundi, après le dîner, Octave aidait madame Hédouin à examiner les commandes de la semaine. Pour cette besogne, tous deux se retiraient dans le cabinet du fond, une étroite pièce où il y avait seulement une caisse, un bureau, deux chaises et un canapé. Mais, ce lundi-là, les Duveyrier menaient justement madame Hédouin à l’Opéra-Comique. Aussi, vers trois heures, appela-t-elle le jeune homme. Malgré le clair soleil, ils durent allumer le gaz, car le cabinet ne recevait qu’un jour livide par une cour intérieure. Comme il poussait le verrou et qu’elle le regardait, étonnée :

— Personne ne viendra nous déranger, murmura-t-il.

Elle l’approuva de la tête, ils se mirent au travail.