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POT-BOUILLE

marches. Par politesse, il s’effaça. C’étaient évidemment les dames du quatrième, madame Josserand et ses deux filles, qui revenaient de soirée. Quand elles passèrent, la mère, une femme corpulente et superbe, le dévisagea ; tandis que l’aînée des demoiselles s’écartait d’un air rêche, et que la cadette, étourdiment, le regardait avec un rire, dans la vive clarté de la bougie. Elle était charmante, celle-là, la mine chiffonnée, le teint clair, les cheveux châtains, dorés de reflets blonds ; et elle avait une grâce hardie, la libre allure d’une jeune mariée, rentrant d’un bal dans une toilette compliquée de nœuds et de dentelles, comme les filles à marier n’en portent pas. Les traînes disparurent le long de la rampe, une porte se referma. Octave restait tout amusé de la gaieté de ses yeux.

Lentement, il monta à son tour. Un seul bec de gaz brûlait, l’escalier s’endormait dans une chaleur lourde. Il lui sembla plus recueilli, avec ses portes chastes, ses portes de riche acajou, fermées sur des alcôves honnêtes. Pas un soupir ne passait, c’était un silence de gens bien élevés qui retiennent leur souffle. Cependant, un léger bruit se fit entendre, il se pencha et aperçut M. Gourd, en pantoufles et en calotte, éteignant le dernier bec de gaz. Alors, tout s’abîma, la maison tomba à la solennité des ténèbres, comme anéantie dans la distinction et la décence de son sommeil.

Octave, pourtant, eut beaucoup de peine à s’endormir. Il se retournait fiévreusement, la cervelle occupée des figures nouvelles qu’il avait vues. Pourquoi diable les Campardon se montraient-ils si aimables ? Est-ce qu’ils rêvaient, plus tard, de lui donner leur fille ? Peut-être aussi le mari le prenait-il en pension pour occuper et égayer sa femme ? Et cette pauvre dame, quelle drôle de maladie pouvait-elle avoir ? Puis, ses idées se brouillèrent davantage, il vit passer des ombres : la