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LES ROUGON-MACQUART

Bachelard parut vexé. Il se remit, il pinça ses grosses paupières clignotantes.

— Mon petit, tu peux toutes les prendre, j’ai mieux que ça.

Et il refusa de s’expliquer, heureux de la curiosité des autres. Pourtant, il brûlait d’être indiscret, de laisser deviner son trésor.

— Une jeune fille, dit-il enfin, mais une vraie, parole d’honneur !

— Pas possible ! cria Trublot. On n’en fait plus.

— De bonne famille ? demanda Duveyrier.

— Tout ce qu’il y a de mieux comme famille, affirma l’oncle. Imaginez-vous quelque chose de bêtement chaste. Un hasard. Je l’ai eue comme ça. Elle ne s’en doute pas encore, positivement.

Gueulin l’écoutait, étonné ; puis, il eut un geste sceptique, en murmurant :

— Ah ! oui, je sais.

— Comment ? tu sais ! dit Bachelard, pris de colère. Tu ne sais rien, mon petit ; personne ne sait rien… Celle-là, c’est pour Bibi. On ne la voit pas, on n’y touche pas… À bas les pattes !

Et, se tournant vers Duveyrier :

— Vous comprendrez, monsieur, vous qui avez du cœur. Ça m’attendrit d’aller là, au point, voyez-vous, que j’en redeviens jeune. Enfin, j’ai un coin gentil où je me repose de toutes ces roulures… Et, si vous saviez, c’est poli, c’est frais, ça vous a une peau de fleur, avec des épaules, des cuisses, pas maigres du tout, monsieur, rondes et fermes comme des pêches !

Les taches rouges du conseiller saignaient, dans le flot de sang qui gonflait son visage. Trublot et Gueulin regardaient l’oncle ; et une envie de le gifler les prenait, à le voir avec son râtelier de dents trop blanches, qui laissait couler des filets de salive aux deux coins