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LES ROUGON-MACQUART

Bachelard redevenait grave, torturé par son besoin vaniteux de montrer Fifi et par sa terreur de se la faire voler. Un instant, il regarda à gauche, il regarda à droite, d’un air inquiet. Enfin, carrément :

— Eh bien ! non, je ne veux pas.

Et il s’entêta, se moquant des plaisanteries de Trublot, ne daignant même pas expliquer par un prétexte son changement d’avis. On dut se mettre en marche pour se rendre chez Clarisse. Comme la soirée était superbe, ils décidèrent d’aller à pied, dans l’idée hygiénique de hâter leur digestion. Alors, ils descendirent la rue de Richelieu, assez d’aplomb sur leurs jambes, mais si pleins, que les trottoirs leur semblaient trop étroits.

Gueulin et Trublot marchaient les premiers. Derrière, venaient Bachelard et Duveyrier, enfoncés dans de fraternelles confidences. Le premier jurait au second qu’il ne se méfiait pas de lui : il la lui aurait montrée, car il le savait un homme délicat ; mais, n’est-ce pas ? c’était toujours imprudent, de trop demander à la jeunesse. Et l’autre l’approuvait, en confessant également d’anciennes craintes, au sujet de Clarisse ; d’abord, il avait écarté ses amis ; puis il s’était plu à les recevoir, à se faire là un intérieur charmant, lorsqu’elle lui avait donné des preuves extraordinaires de fidélité. Oh ! une femme de tête, incapable d’un oubli, et beaucoup de cœur, et des idées très saines ! Sans doute, on pouvait lui reprocher de petites choses dans le passé, par manque de direction ; seulement, elle était revenue à l’honneur, depuis qu’elle l’aimait. Et, tout le long de la rue de Rivoli, le conseiller ne tarissait pas ; tandis que l’oncle, vexé de ne plus placer un mot sur la petite, se retenait pour ne pas lui apprendre que sa Clarisse couchait avec tout le monde.

— Oui, oui, sans doute, murmurait-il. Mais soyez-en