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POT-BOUILLE

Trublot, très las du dîner et de la course, commençait à trouver peu drôle cette solitude. Mais Duveyrier, qui ne lâchait pas la bougie, allait toujours, comme pris du besoin de s’enfoncer dans son abandon ; et les autres étaient bien forcés de le suivre. Il traversa de nouveau chaque pièce, voulut revoir le grand salon, le petit salon, la chambre à coucher, promena soigneusement la lumière au fond de chaque coin ; tandis que, derrière lui, ces messieurs à la file continuaient la procession de l’escalier, avec leurs grandes ombres dansantes, qui peuplaient étrangement le vide des murs. Sur les parquets, dans l’air morne, le bruit de leurs pas prenait des sonorités tristes. Et, pour comble de mélancolie, l’appartement était très propre, sans un brin de papier ni de paille, aussi net qu’une écuelle lavée à grande eau ; car le concierge avait eu la cruauté de donner partout un vigoureux coup de balai.

— Vous savez, je n’en puis plus, finit par déclarer Trublot, comme on visitait le salon pour la troisième fois… Vrai ! je payerais dix sous une chaise.

Tous quatre s’arrêtèrent, debout.

— Quand donc l’avez-vous vue ? demanda Bachelard.

— Hier, monsieur ! cria Duveyrier.

Gueulin hocha la tête. Bigre ! ça n’avait pas traîné, c’était joliment fait. Mais Trublot poussa une exclamation. Il venait d’apercevoir sur la cheminée un faux-col sale et un cigare détérioré.

— Ne vous plaignez pas, dit-il en riant, elle vous a laissé un souvenir… C’est toujours ça.

Duveyrier regarda le faux-col avec un brusque attendrissement. Puis, il murmura :

— Vingt-cinq mille francs de meubles, il y en avait pour vingt-cinq mille francs !… Et bien ! non, non, ce n’est pas eux que je regrette !

— Vous ne prenez pas le cigare ? interrompit Trublot.