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POT-BOUILLE

fait ses affaires chez cette dame ! mais nous pouvons dire que ce n’est guère propre. Une femme qui a dépassé la cinquantaine et qui ne reçoit que des jeunes gens ! Une ancienne pas grand’chose qu’un personnage a fait épouser à cet imbécile de Dambreville, en le nommant chef de bureau !

Hortense et Berthe trottaient sous la pluie, l’une devant l’autre, sans avoir l’air d’entendre. Quand leur mère se soulageait ainsi, lâchant tout, oubliant le rigorisme de belle éducation où elle les tenait, il était convenu qu’elles devenaient sourdes. Pourtant, Berthe se révolta, en entrant dans la rue de l’Échelle, sombre et déserte.

— Allons, bon ! dit-elle, voilà mon talon qui part… Je ne peux plus aller, moi !

Madame Josserand devint terrible.

— Voulez-vous bien marcher !… Est-ce que je me plains ? Est-ce que c’est ma place, d’être dans la rue à cette heure, par un temps pareil ?… Encore si vous aviez un père comme les autres ! Mais non, monsieur reste chez lui à se goberger. C’est toujours mon tour de vous conduire dans le monde, jamais il n’accepterait la corvée. Eh bien ! je vous déclare que j’en ai par-dessus la tête. Votre père vous sortira, s’il veut ; moi, du diable si je vous promène désormais dans des maisons où l’on me vexe !… Un homme qui m’a trompée sur ses capacités et dont je suis encore à tirer un agrément ! Ah ! Seigneur Dieu ! en voilà un que je n’épouserais pas, si c’était à refaire !

Les jeunes filles ne protestaient plus. Elles connaissaient ce chapitre intarissable des espoirs brisés de leur mère. La dentelle collée au visage, les souliers trempés, elles suivirent rapidement la rue Sainte-Anne. Mais, rue de Choiseul, à la porte de sa maison, une dernière humiliation attendait madame Josserand :