Page:Emile Zola - Pot-Bouille.djvu/277

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
277
POT-BOUILLE

portes ouvertes ; et, un cocher farceur ayant joué au revenant, de petits cris, des rires étouffés s’étaient fait entendre jusqu’au jour, le long du couloir. Lisa, les lèvres pincées, disait qu’elle s’en souviendrait. Une fameuse rigolade, tout de même !

Mais la voix furieuse d’Hippolyte ramena leur attention vers les tentures. Il criait, perdant sa dignité :

— Bougre d’ivrogne ! vous le mettez la tête en bas !

C’était vrai, l’ouvrier allait accrocher à l’envers l’écusson portant le chiffre du défunt. Du reste, les draps noirs, bordés d’argent, étaient en place ; il n’y avait plus qu’à poser les patères, lorsqu’une voiture à bras, chargée d’un petit mobilier de pauvre, se présenta pour entrer. Un gamin poussait, une grande fille pâle suivait, en donnant un coup de main. M. Gourd, qui causait avec son ami, le papetier d’en face, se précipita et, malgré la solennité de son deuil :

— Eh bien ! eh bien ! qu’est-ce qu’il lui prend ?… Vous ne voyez donc pas, imbécile !

La grande fille intervint.

— Monsieur, je suis la nouvelle locataire, vous savez… Ce sont mes meubles.

— Impossible ! demain ! cria le concierge furieux.

Elle le regarda, puis regarda les tentures, stupéfiée. Évidemment, cette porte murée de noir la bouleversait. Mais elle se remit, elle expliqua qu’elle ne pouvait pas non plus laisser ses meubles sur le pavé. Alors, M. Gourd la rudoya.

— Vous êtes la piqueuse de bottines, n’est-ce pas ? celle qui a loué là-haut le cabinet… Encore une obstination du propriétaire ! Tout ça, pour toucher cent trente francs, et malgré les ennuis que nous avons eus avec le menuisier !… Il m’avait pourtant promis de ne plus louer à du monde qui travaille. Ah ! ouiche, voilà que ça recommence, et avec une femme !