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LES ROUGON-MACQUART

un de ses camarades. Et d’ailleurs, tous ceux que ce grignotage amusait.

— Pardon, ajouta-t-il. Puisque voilà le vieux remisé, je vais rendre compte à Duveyrier d’une commission.

La famille s’en allait, silencieuse et dolente. Alors, Trublot retint en arrière le conseiller, pour lui apprendre qu’il avait vu la bonne de Clarisse ; mais il ne savait pas l’adresse, la bonne ayant quitté Clarisse la veille du déménagement, après lui avoir fichu des claques. C’était le dernier espoir qui s’envolait. Duveyrier mit la figure dans son mouchoir et rejoignit la famille.

Dès le soir, des querelles commencèrent. La famille se trouvait devant un désastre. M. Vabre, avec cette insouciance sceptique que les notaires montrent parfois, ne laissait pas de testament. On fouilla en vain tous les meubles, et le pis fut qu’il n’y avait pas un sou des six ou sept cent mille francs espérés, ni argent, ni titres, ni actions ; on découvrit seulement sept cent trente-quatre francs en pièces de dix sous, une cachette de vieillard gâteux. Et des traces irrécusables, un carnet ouvert de chiffres, des lettres d’agents de change apprirent aux héritiers, blêmes de colère, le vice secret du bonhomme, une passion effrénée du jeu, un besoin maladroit et enragé de l’agiotage, qu’il cachait sous l’innocente manie de son grand travail de statistique. Tout y passait, ses économies de Versailles, les loyers de sa maison, jusqu’aux sous qu’il carottait à ses enfants ; même, dans les dernières années, il en était venu à hypothéquer la maison de cent cinquante mille francs, en trois fois. La famille resta atterrée en face du fameux coffre-fort, où elle croyait la fortune sous clef, et dans lequel il y avait simplement un monde d’objets singuliers, des débris ramassés à travers les pièces, vieilles ferrailles, vieux tes-