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POT-BOUILLE

D’ailleurs, dans la maison, du rez-de-chaussée à l’étage des bonnes, un grand calme avait succédé aux émotions de la mort brusque de M. Vabre. L’escalier retrouvait son recueillement de chapelle bourgeoise ; pas un souffle ne sortait des portes d’acajou, toujours closes sur la profonde honnêteté des appartements. Le bruit courait que Duveyrier s’était remis avec sa femme. Quant à Valérie et à Théophile, ils ne parlaient à personne, ils passaient raides et dignes. Jamais la maison n’avait exhalé une sévérité de principes plus rigides. M. Gourd, en pantoufles et en calotte, la parcourait d’un air de bedeau solennel.

Vers onze heures, un soir, Auguste allait à chaque instant sur la porte du magasin, puis allongeait la tête, et jetait un coup d’œil dans la rue. Une impatience peu à peu grandie l’agitait. Berthe, que sa mère et sa sœur étaient venues chercher pendant le dîner, sans même lui laisser manger du dessert, ne rentrait pas, après une absence de plus de trois heures, et malgré sa promesse formelle d’être là pour la fermeture.

— Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! finit-il par dire, les mains serrées, faisant craquer ses doigts.

Et il s’arrêta devant Octave, qui étiquetait des coupons de soie, sur un comptoir. À cette heure avancée de la soirée, aucun client ne se présentait, dans ce bout écarté de la rue de Choiseul. On laissait ouvert uniquement pour ranger le magasin.

— Vous devez savoir où ces dames sont allées, vous ? demanda Auguste au jeune homme.

Celui-ci leva les yeux d’un air surpris et innocent.

— Mais, monsieur, elles vous l’ont dit… À une conférence.

— Une conférence, une conférence, gronda le mari. Elle finissait à dix heures, leur conférence… Est-ce que des femmes honnêtes ne devraient pas être rentrées !