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POt-BOUILLE

à tout hasard. On fermerait au verrou la porte du grand escalier, et elle sortirait par la porte de la cuisine, dont elle emporterait la clef. La bonne prenait tranquillement ces ordres, comme s’il se fût agi de mettre au feu un bœuf à la mode, pour le lendemain.

Le soir, par un raffinement de tactique, pendant que sa maîtresse devait dîner chez ses parents, Octave avait accepté une invitation chez les Campardon. Il comptait rester là jusqu’à dix heures, puis aller s’enfermer dans sa chambre et y attendre minuit et demi, avec le plus de patience possible.

Chez les Campardon, le dîner fut patriarcal. L’architecte, entre sa femme et la cousine, s’appesantissait sur les plats, des plats de ménage, abondants et sains, comme il les qualifiait. Il y avait, ce soir-là, une poule au riz, une pièce de bœuf et des pommes de terre sautées. Depuis que la cousine s’occupait de tout, la maison vivait dans une indigestion continue, tant elle savait bien acheter, payant moins cher et rapportant deux fois plus de viande que les autres. Aussi Campardon revint-il trois fois à la poule, pendant que Rose se bourrait de riz. Angèle se réserva pour le bœuf ; elle aimait le sang, Lisa lui en fourrait en cachette de grandes cuillerées. Et, seule, Gasparine touchait à peine aux plats, ayant l’estomac rétréci, disait-elle.

— Mangez donc, criait l’architecte à Octave, vous ne savez pas qui vous mangera.

Madame Campardon, penchée à l’oreille du jeune homme, s’applaudissait une fois encore du bonheur apporté par la cousine dans la maison : une économie de cent pour cent au moins, les domestiques réduites au respect, Angèle surveillée et recevant le bon exemple.

— Enfin, murmura-t-elle, Achille continue à être heureux comme le poisson dans l’eau, et moi je n’ai