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LES ROUGON-MACQUART

des parents, des parties de cartes interminables, sur un coin de la couverture étalée. Elles jouaient à la bataille, en retombant toujours sur la cousine, une sale bête que la bonne déshabillait crûment devant l’enfant. Toutes deux se vengeaient de la soumission hypocrite de la journée, et il y avait, chez Lisa, une jouissance basse, dans cette corruption d’Angèle, dont elle satisfaisait les curiosités de fille maladive, troublée par la crise de ses quinze ans. Cette nuit-là, elles étaient furieuses contre Gasparine qui, depuis deux jours, enfermait le sucre, dont la bonne emplissait ses poches, pour les vider ensuite sur le lit de la petite. En voilà un chameau ! pas même moyen de croquer du sucre en s’endormant !

— Votre papa lui en fourre pourtant assez, du sucre ! dit Lisa, avec un rire sensuel.

— Oh ! oui ! murmura Angèle, qui riait également.

— Qu’est-ce qu’il lui fait, votre papa ?… Faites un peu, pour voir.

Alors, l’enfant se jeta au cou de la bonne, la serra de ses bras nus, l’embrassa violemment sur la bouche, en répétant :

— Tiens ! comme ça… Tiens ! comme ça.

Minuit sonnait. Campardon et Gasparine geignaient dans leur lit trop étroit, tandis que Rose, se carrant au milieu du sien, les membres écartés, lisait Dickens, avec des larmes d’attendrissement. Un grand silence tomba, la nuit chaste jetait son ombre sur l’honnêteté de la famille.

Cependant, comme il rentrait, Octave avait trouvé de la compagnie chez les Pichon. Jules l’appela, voulant absolument lui offrir quelque chose. Monsieur et madame Vuillaume étaient là, réconciliés avec le ménage, à l’occasion des relevailles de Marie, accouchée en septembre. Ils avaient même bien voulu venir