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LES ROUGON-MACQUART

promener toute nue dans l’escalier ! Vrai ! il y avait des femmes qui ne respectaient plus rien, quand ça les démangeait ! Mais il était près de deux heures, il fallait dormir à la fin. Et l’on embrassa encore : bonsoir mon chéri, bonsoir ma cocotte. Hein ? était-ce bon de s’aimer, de s’entendre toujours, lorsqu’on voyait, dans les autres ménages, des catastrophes pareilles ? Rose reprit Dickens, qui avait glissé sur son ventre ; il lui suffisait, elle en lirait encore quelques pages, puis s’endormirait, en le laissant couler dans le lit, comme tous les soirs, lasse d’émotion. Campardon suivit Gasparine, la fit se recoucher la première, s’allongea ensuite. Tous deux grognaient : les draps avaient refroidi, on était mal, il faudrait encore une demi-heure pour avoir chaud.

Et Lisa, qui, avant de monter, était rentrée dans la chambre d’Angèle, lui disait :

— La dame a une entorse… Montrez un peu comment elle a pris son entorse.

— Tiens ! comme ça ! répondait l’enfant, en se jetant au cou de la bonne, et en la baisant sur les lèvres.

Dans l’escalier, Berthe grelotta. Il y faisait froid, on n’allumait le calorifère que le premier novembre. Cependant, sa peur se calmait. Elle était descendue, avait écouté à la porte de son appartement : rien, pas un bruit. Elle était montée, n’osant s’avancer jusqu’à la chambre d’Octave, prêtant l’oreille de loin : un silence de mort, plus un murmure. Alors, elle s’accroupit sur le paillasson de ses parents, où elle comptait vaguement attendre Adèle ; car l’idée de tout avouer à sa mère la bouleversait, comme si elle était encore petite fille. Mais, peu à peu, la solennité de l’escalier l’emplit d’une nouvelle angoisse. Il était noir, il était sévère. Personne ne la voyait, et une confusion la prenait pourtant, à être ainsi en chemise, dans l’honnêteté