Page:Emile Zola - Pot-Bouille.djvu/381

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
381
POT-BOUILLE

mettre au courant et l’envoyer tout de suite auprès d’Octave. Théophile serait son autre témoin, s’il y consentait. Celui-ci dut accepter ; mais son rhume parut s’aggraver subitement, il prenait son air rageur d’enfant malade, qui a besoin qu’on le plaigne. Pourtant, il proposa à son frère de l’accompagner chez les Duveyrier ; ces gens-là avaient beau être des voleurs, on oubliait tout dans de certaines circonstances ; et le désir d’une réconciliation générale perçait chez lui et chez sa femme, tous deux ayant sans doute réfléchi que leur intérêt n’était pas de bouder davantage. Valérie, très obligeante, finit par offrir à Auguste de se tenir à la caisse, pour lui donner le temps de trouver une demoiselle convenable.

— Seulement, ajouta-t-elle, je dois mener Camille aux Tuileries, vers deux heures.

— Oh ! pour une fois ! dit son mari. Il pleut justement.

— Non, non, l’enfant a besoin d’air… Il faut que je sorte.

Enfin, les deux frères montèrent chez les Duveyrier. Mais une quinte de toux abominable arrêta Théophile, dès la première marche. Il se tint à la rampe, et quand il put parler, la gorge encore gênée d’un râle, il bégaya :

— Tu sais, moi, très heureux maintenant, tout à fait sûr d’elle… Non, pas ça à lui reprocher, et elle m’a donné des preuves.

Auguste, sans comprendre, le regardait, si jaune, si crevé, avec les poils rares de sa barbe qui se séchaient dans sa chair molle. Ce regard acheva de vexer Théophile, que la bravoure de son frère embarrassait. Il reprit :

— Je te parle de ma femme… Ah ! mon pauvre vieux, je te plains de tout mon cœur ! Tu te rappelles ma bêtise, le jour de tes noces. Mais toi, il n’y a pas à douter, puisque tu les as vus.