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LES ROUGON-MACQUART

Duveyrier, qui semblait attendre derrière la porte, entra et leur serra la main, en tâchant de sourire. Il n’avait plus son air jeune d’autrefois, quand il passait la soirée chez elle, rue de la Cerisaie ; une lassitude l’accablait, il était morne et diminué, avec des tressaillements, comme si des choses, derrière lui, l’inquiétaient.

Clarisse restait pour entendre. Bachelard, qui ne voulait pas parler devant elle, invita le conseiller à déjeuner.

— Acceptez donc, monsieur Vabre a besoin de vous. Madame sera assez bonne pour permettre…

Mais celle-ci s’était aperçue enfin que sa sœur cadette tapait sur le piano, et elle lui allongeait des claques, elle la flanquait à la porte, giflant et poussant dehors par la même occasion la plus petite, avec sa casserole. Ce fut un sabbat infernal. La tante infirme, à côté, se remit à hurler, croyant qu’on venait la battre.

— Entends-tu, ma mignonne, murmura Duveyrier, ces messieurs m’invitent.

Elle ne l’écoutait pas, elle tâtait l’instrument avec une tendresse effrayée. Depuis un mois, elle apprenait le piano. C’était le rêve inavoué de toute sa vie, une ambition lointaine dont la réalisation seule devait la sacrer femme du monde. S’étant assurée qu’il n’y avait rien de cassé, elle allait retenir son amant pour lui être simplement désagréable, lorsque madame Bocquet montra une seconde fois la tête, en cachant sa jupe.

— Ton maître de piano, dit-elle.

Du coup, Clarisse, changeant d’idée, cria à Duveyrier :

— C’est ça, fiche-moi le camp !… Je déjeunerai avec Théodore. Nous n’avons pas besoin de toi.

Le maître de piano, Théodore, était un Belge, à large face rose. Elle s’assit tout de suite devant l’instrument ;