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LES ROUGON-MACQUART

porte est ouverte… Ah ! Seigneur ! quel débarras !

Ces demoiselles écoutaient tranquillement, habituées à ces explications vives. Elles mangeaient toujours, leur camisole tombée des épaules, frottant doucement leur peau nue contre la faïence tiède du poêle ; et elles étaient charmantes de jeunesse, dans ce débraillé, avec leur faim goulue et leurs gros yeux de sommeil.

— Vous avez bien tort de vous disputer, dit enfin Hortense, la bouche pleine. Maman se fait du mauvais sang, et papa sera encore malade demain, à son bureau… Il me semble que nous sommes assez grandes pour nous marier toutes seules.

Ce fut une diversion. Le père, à bout de force, feignit de se remettre à ses bandes ; et il restait le nez sur le papier, ne pouvant écrire, les mains agitées d’un tremblement. Cependant, la mère, qui tournait dans la pièce comme une lionne lâchée, s’était plantée devant Hortense.

— Si tu parles pour toi, cria-t-elle, tu es joliment godiche !… Jamais ton Verdier ne t’épousera.

— Ça, c’est mon affaire, répondit carrément la jeune fille.

Après avoir refusé avec mépris cinq ou six prétendants, un petit employé, le fils d’un tailleur, d’autres garçons qu’elle trouvait sans avenir, elle s’était décidée pour un avocat, rencontré chez les Dambreville et âgé déjà de quarante ans. Elle le jugeait très fort, destiné à une grande fortune. Mais le malheur était que Verdier vivait depuis quinze ans avec une maîtresse, qui passait même pour sa femme, dans leur quartier. Du reste, elle le savait et ne s’en montrait pas autrement inquiète.

— Mon enfant, dit le père en levant de nouveau la tête, je t’avais priée de ne pas songer à ce mariage… Tu connais la situation.