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POT-BOUILLE

Ce fut le comble. Madame Josserand se leva, majestueuse, terrible.

— Taisez-vous, répondeuse !… Oh ! je sais, ce sont les autres bonnes qui vous gâtent. Dès qu’il y a, dans une maison, une bête qui débarque de sa province, il faut que les coquines de tous les étages la mettent au courant d’un tas d’horreurs… Vous n’allez plus à la messe, et vous volez, maintenant !

Adèle, la tête montée en effet par Lisa et par Julie, ne céda pas.

— Quand j’étais une bête, comme vous dites, fallait pas abuser… C’est fini.

— Sortez, je vous chasse ! cria madame Josserand, la main tendue vers la porte, dans un geste tragique.

Elle s’assit, secouée, pendant que la bonne, sans se presser, traînait ses savates et avalait encore un pruneau, avant de retourner dans sa cuisine. On la chassait ainsi une fois par semaine ; ça ne l’émotionnait plus. Autour de la table, il y eut un silence pénible. Hortense finit par dire que ça n’avançait à rien, de toujours la flanquer dehors, pour toujours la garder ensuite. Sans doute elle volait et elle devenait insolente ; mais autant celle-là qu’une autre, car elle consentait à les servir au moins, tandis qu’une autre ne les tolérerait pas huit jours, même avec l’agrément de boire le vinaigre et de fourrer les pruneaux dans sa poche.

Le déjeuner, cependant, s’acheva dans une intimité attendrie. M. Josserand, très ému, parla de ce pauvre Saturnin qui s’était fait reconduire là-bas, la veille, pendant son absence ; et il croyait à un accès de folie furieuse, au milieu du magasin, car on lui avait conté cette histoire. Ensuite, comme il se plaignait de ne plus voir Léon, madame Josserand, redevenue muette, déclara sèchement qu’elle l’attendait le jour même ; peut-