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LES ROUGON-MACQUART

nuit mystérieuse, au delà de ce lointain tabernacle, une apparition tragique, un drame déchirant et simple : le Christ cloué sur la croix, entre Marie et Madeleine, qui sanglotaient ; et les statues blanches, qu’une lumière invisible, venue d’en haut, détachait contre la nudité du mur, s’avançaient, grandissaient, faisaient de l’humanité saignante de cette mort et de ces larmes le symbole divin de l’éternelle douleur.

Éperdu, le prêtre tomba sur les genoux. Il avait blanchi ce plâtre, ménagé cet éclairage, préparé ce coup de foudre ; et, la cloison de planches abattue, l’architecte et les ouvriers partis, il était foudroyé le premier. De la sévérité terrible du Calvaire, une haleine soufflait, qui le renversait. Il croyait sentir Dieu passer sur sa face, il se courbait sous cette haleine, déchiré de doute, torturé par l’idée affreuse qu’il était peut-être un mauvais prêtre.

Oh ! Seigneur, l’heure sonnait-elle de ne plus couvrir du manteau de la religion les plaies de ce monde décomposé ? Devait-il ne plus aider à l’hypocrisie de son troupeau, n’être plus toujours là, comme un maître de cérémonie, pour régler le bel ordre des sottises et des vices ? Fallait-il donc laisser tout crouler, au risque que l’Église elle-même fût éventrée par les décombres ? Oui, tel était l’ordre sans doute, car la force d’aller plus avant dans la misère humaine l’abandonnait, il agonisait d’impuissance et de dégoût. Ce qu’il avait remué de vilenies depuis le matin, lui étouffait le cœur. Et les mains ardemment tendues, il demandait pardon, pardon de ses mensonges, pardon des complaisances lâches et des promiscuités infâmes. La peur de Dieu le prenait aux entrailles, il voyait Dieu qui le reniait, qui lui défendait d’abuser encore de son nom, un Dieu de colère résolu à exterminer enfin le peuple coupable. Toutes les tolérances du mondain s’en allaient sous les