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POt-BOUILLE

lerat, sans compter les dîneurs, sauf Trublot, disparu au sortir de table. Dès la seconde phrase, on tomba sur la politique. Les débats des Chambres passionnaient ces messieurs, et ils en étaient encore à discuter le succès de la liste de l’opposition, passée tout entière à Paris, aux élections de mai. Ce triomphe de la bourgeoisie frondeuse les inquiétait sourdement, malgré leur joie apparente.

— Mon Dieu ! déclara Léon, monsieur Thiers est certainement un homme de talent. Mais il apporte, dans ses discours sur l’expédition du Mexique, une acrimonie qui leur enlève toute portée.

Il venait d’être nommé maître des requêtes, sur les démarches de madame Dambreville, et du coup il se ralliait. Rien ne restait en lui du démagogue affamé, si ce n’était une insupportable intolérance de doctrine.

— Vous accusiez le gouvernement de toutes les fautes, dit le docteur en souriant. J’espère que vous avez au moins voté pour monsieur Thiers.

Le jeune homme évita de répondre. Théophile, dont l’estomac ne digérait plus, et que troublaient de nouveaux doutes sur la fidélité de sa femme, s’écria :

— Moi, j’ai voté pour lui… Du moment où les hommes refusent de vivre en frères, tant pis pour eux !

— Et tant pis pour vous, n’est-ce pas ? fit remarquer Duveyrier, qui, parlant peu, lâchait des mots profonds.

Effaré, Théophile, le regarda. Auguste n’osait plus avouer qu’il avait également voté pour M. Thiers. Puis, ce fut une surprise, quand l’oncle Bachelard lança une profession de foi légitimiste : au fond, il trouvait ça distingué. Campardon l’approuva beaucoup ; lui, s’était abstenu, parce que M. Dewinck, le candidat officiel n’offrait pas assez de garantie au point de vue religieux ; et il éclata en paroles furibondes contre la Vie de Jésus, publiée depuis peu.