Aller au contenu

Page:Emile Zola - Pot-Bouille.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


III


Dès le poisson, de la raie au beurre noir d’une fraîcheur douteuse, que cette gâcheuse d’Adèle avait noyée dans un flot de vinaigre, Hortense et Berthe, assises à droite et à la gauche de l’oncle Bachelard, le poussèrent à boire, emplissant son verre l’une après l’autre, répétant :

— C’est votre fête, buvez donc !… À votre santé, mon oncle !

Elles avaient comploté de se faire donner vingt francs. Chaque année, leur mère prévoyante les plaçait ainsi aux côtés de son frère, qu’elle leur abandonnait. Mais c’était une rude besogne, et qui demandait toute l’âpreté de deux filles travaillées par des rêves de souliers Louis XV et de gants à cinq boutons. Pour donner les vingt francs, il fallait que l’oncle fût complètement gris. Il était en famille d’une avarice féroce, tout en mangeant au-dehors, à des noces crapuleuses, les quatre-vingt mille francs qu’il gagnait dans la commission. Heureusement, ce soir-là, il venait d’arriver à demi plein, ayant passé l’après-midi chez une teinturière du faubourg Montmartre, qui se faisait expédier pour lui du vermouth de Marseille.