— J’espère, Gueulin, que vous avez apporté votre flûte ? demanda madame Josserand, qui cherchait à dissiper le malaise de ses convives.
Gueulin jouait de la flûte en amateur, mais uniquement dans les maisons où on le mettait à l’aise.
— Ma flûte, certainement, répondit-il.
Il était distrait, ses cheveux et ses favoris roux plus hérissés encore que de coutume, très intéressé par la manœuvre de ces demoiselles autour de l’oncle. Employé dans une compagnie d’assurances, il retrouvait Bachelard dès sa sortie du bureau, et ne le lâchait plus, battant à sa suite les mêmes cafés et les mêmes mauvais lieux. Derrière le grand corps dégingandé de l’un, on était toujours sûr d’apercevoir la petite figure blême de l’autre.
— Hardi ! ne le lâchez pas ! dit-il brusquement, en homme qui juge les coups.
L’oncle, en effet, perdait pied. Lorsque, après les légumes, des haricots verts trempés d’eau, Adèle servit une glace à la vanille et à la groseille, ce fut une joie inespérée autour de la table ; et ces demoiselles abusèrent de la situation pour faire boire à l’oncle la moitié de la bouteille de champagne, que madame Josserand payait trois francs, chez un épicier voisin. Il devenait tendre, il oubliait sa comédie de l’imbécillité.
— Hein, vingt francs !… Pourquoi vingt francs ?… Ah ! vous voulez vingt francs ! Mais je ne les ai pas, bien vrai. Demandez à Gueulin. N’est-ce pas ? Gueulin, j’ai oublié ma bourse, tu as dû payer au café… Si je les avais, mes petites chattes, je vous les donnerais, vous êtes trop gentilles.
Gueulin, de son air froid, riait avec un bruit de poulie mal graissée. Et il murmurait :
— Ce vieux filou !
Puis, tout d’un coup, emporté, il cria :