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LES ROUGON-MACQUART

temps de lui saisir la main, pour qu’il n’entrât pas dans le salon. Elle le secouait, mise en colère, tandis que lui s’expliquait, avec sa logique de fou.

— Laisse-moi faire, il faut qu’ils y passent… Je te dis que ça vaut mieux… J’en ai assez, de leurs sales histoires. Ils nous vendront tous.

— À la fin, c’est assommant ! cria Berthe. Qu’as-tu ? que chantes-tu là ?

Il la regarda, bouleversé, agité d’une rage sombre, bégayant :

— On va encore te marier… Jamais, entends-tu !… Je ne veux pas qu’on te fasse du mal.

La jeune fille ne put s’empêcher de rire. Où prenait-il qu’on allait la marier ? Mais lui, hochait la tête : il le savait, il le sentait. Et, comme sa mère intervenait pour le calmer, il serra son couteau d’une main si rude, qu’elle recula. Cependant, elle tremblait que cette scène ne fût entendue, elle dit rapidement à Berthe de l’emmener, de l’enfermer dans sa chambre ; tandis que, s’affolant de plus en plus, il haussait la voix.

— Je ne veux pas qu’on te marie, je ne veux pas qu’on te fasse du mal… Si on te marie, je leur ouvre la peau du ventre.

Alors, Berthe lui mit les mains sur les épaules, en le regardant fixement.

— Écoute, dit-elle, tiens-toi tranquille, ou je ne t’aime plus.

Il chancela, un désespoir amollit sa face, ses yeux s’emplirent de larmes.

— Tu ne m’aimes plus, tu ne m’aimes plus… Ne dis pas ça. Oh ! je t’en prie, dis que tu m’aimes encore, dis que tu m’aimeras toujours et que jamais tu n’en aimeras un autre.

Elle l’avait pris par le poignet, elle l’emmena, docile comme un enfant.