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LES ROUGON-MACQUART

du coude, en lâchant des indécences ; et madame Josserand les surveillait d’un regard alarmé, car elle craignait la mauvaise tenue de son frère. Mais madame Juzeur pouvait tout entendre : elle avait un frisson des lèvres, elle souriait avec une douceur angélique aux histoires gaillardes. L’oncle Bachelard était un homme réputé dangereux. Son neveu, au contraire, était chaste. Par théorie, si belles que fussent les occasions, Gueulin refusait les femmes, non pas qu’il les dédaignât, mais parce qu’il redoutait les lendemains du bonheur : toujours des embêtements, disait-il.

Berthe enfin parut. Elle s’approcha vivement de sa mère.

— Ah bien ! j’en ai eu, de la peine ! lui souffla-t-elle à l’oreille. Il n’a pas voulu se coucher, je l’ai enfermé à double tour… Mais j’ai peur qu’il ne casse tout, là-dedans.

Madame Josserand la tira violemment par sa robe. Octave, près d’elles, venait de tourner la tête.

— Ma fille Berthe, monsieur Mouret, dit-elle de son air le plus gracieux, en la lui présentant. Monsieur Octave Mouret, ma chérie.

Et elle regardait sa fille. Celle-ci connaissait bien ce regard, qui était comme un ordre de combat, et où elle retrouvait les leçons de la veille. Tout de suite, elle obéit, avec la complaisance et l’indifférence d’une fille qui ne s’arrête plus au poil de l’épouseur. Elle récita joliment son bout de rôle, eut la grâce facile d’une Parisienne déjà lasse et rompue à tous les sujets, parla avec enthousiasme du Midi où elle n’était jamais allée. Octave, habitué aux raideurs des vierges provinciales, fut charmé de ce caquet de petite femme, qui se livrait comme un camarade.

Mais Trublot, disparu depuis la fin du repas, entrait d’un pas furtif par la porte de la salle à manger ; et