Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
141
SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

rien passé d’extraordinaire entre eux, le laissait tourner autour de sa jupe, sans la moindre peur. Quand elle le pria d’ouvrir la porte, il obéit.

Dans le jardin, ils marchèrent tout doucement. Rougon, qui se sentait une légère cuisson sur la joue gauche, se tamponnait avec son mouchoir. Dès le seuil du cabinet, le premier regard de Clorinde fut pour la pendule.

— Ça fait trente-deux billets, dit-elle en souriant.

Comme il la regardait, surpris, elle rit plus haut, elle continua :

— Renvoyez-moi vite, l’aiguille marche. Voilà la trente-troisième minute qui commence… Tenez, je mets les billets sur votre bureau.

Il donna trois cent vingt francs, sans une hésitation. Ses doigts n’eurent qu’un petit frémissement, en comptant les pièces d’or ; c’était une punition qu’il s’infligeait. Alors, elle, enthousiasmée de la façon dont il lâchait une telle somme, s’avança avec un geste adorable d’abandon. Elle lui tendit la joue. Et, quand il y eut posé un baiser, paternellement, elle s’en alla, l’air ravi, en disant :

— Merci pour ces pauvres filles… Je n’ai plus que sept billets à placer. Parrain les prendra.

Lorsque Rougon fut seul, il se rassit à son bureau, machinalement. Il reprit son travail interrompu, écrivit pendant quelques minutes, en consultant avec une grande attention les pièces éparses devant lui. Puis, il resta la plume aux doigts, la face grave, regardant dans le jardin, par la fenêtre ouverte, sans voir. Ce qu’il retrouvait, à cette fenêtre, c’était la mince silhouette de Clorinde, qui se balançait, se nouait, se déroulait, avec la volupté molle d’une couleuvre bleuâtre. Elle rampait, elle entrait ; et, au milieu du cabinet, elle se tenait debout sur la queue vivante de sa robe, les hanches vi-